La section “Caucase” est dédiée à la mémoire de notre maître et ami, Georges Charachidzé. Né en 1930 d’un père émigré géorgien qu’il perdit âgé de 5 ans et d’une mère vosgienne, institutrice, il fut pris en charge par la communauté géorgienne, ce qui est à l’origine de sa fantastique connaissance du Caucase et de ses langues.
Georges Charachidzé fut l’un des disciples de Dumézil auprès de qui il fit sa thèse de doctorat “Le système religieux de la Géorgie païenne: analyse structurale d’une civilisation” publiée chez Maspéro en 1968. Dans une abondante production pluridisciplinaire, son œuvre majeure demeure “Prométhée ou le Caucase. Essai de mythologie contrastive” publiée chez Flammarion en 1986.
En 1965, il préféra venir enseigner le géorgien à l’Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes, à l’époque rue de Lille, plutôt que d’accepter une chaire à l’Université de Nanterre, en ethnologie, si nos souvenirs sont bons. Porteur de 8 langues du Caucase (en plus du géorgien, il connaissait le mingrélien, le laze, l’avar, l’abkhaze…, mais aussi l’ossète, langue indo-européenne), Georges Charachidzé faisait dans ses cours de géorgien une large place à la linguistique des langues caucasiques et ses cours d’avar resteront gravés dans nos mémoires. Il pratiquait les langues du Caucase et les communautés réfugiées en Turquie où il se rendait chaque été depuis sa nomination aux Langues’O.
Il faut bien dire que son usage courant de l’anglais, de l’allemand, du russe et du turc lui ont permis l’accès à toutes les sources possibles bien que l’essentiel de sa documentation ait été acquis parmi les communautés caucasiennes de Turquie.
Pendant de nombreuses années, Georges Dumézil et Georges Charachidzé ont consigné, avant son extinction totale, la langue oubykh portée par seulement deux locuteurs âgés dont Tevfik Esenç, leur informateur dont nous avons si souvent entendu parler. Cette œuvre colossale leur a malheureusement survécu sans qu’elle puisse être dûment publiée, ce qui, au demeurant, est aussi le sort de quelques autres travaux de Georges Charachidzé. Le seul non-natif capable de prononcer l’oubykh (70 consonnes) était certainement Georges Charachidzé, en fait le dernier porteur de cette langue après la disparition de Tevfik.
Georges Charachidzé, Gogui (გოგი) pour les intimes, nous a quittés en février 2010 à l’âge de 80 ans. La petite chapelle Sainte Nino dans le 15ème arrondissement de Paris a difficilement accueilli tous ses collègues et amis venus en nombre lui dire adieu.
Nous souhaitons que les modestes travaux qui seront exposés ici soient un hommage à un maître toujours proche de ses étudiants.
Voici le témoignage de Patrick Kaplanian, un ancien des Langues’O: “Après mai 68, il était devenu le prof le plus populaire des langues’O, ce qui avait provoqué une vague d’inscriptions en géorgien. Je n’ai jamais été son élève, j’étais étudiant en arabe littéral. (Vu mon nom, c’est plutôt en arménien que j’aurais dû m’inscrire). Mais il était l’un de mes interlocuteurs préférés. Avec lui les discussions étaient un véritable régal, qu’il s’agisse d’ethnologie, de linguistique ou d’épistémologie. Les idées, à chaque rencontre, virevoltaient dans mes oreilles. Nous avons beaucoup parlé de Prométhée à l’époque où il étudiait le Prométhée caucasien et moi celui d’Hésiode. Mais il était intarissable sur tout, s’intéressant à tout, toujours curieux, toujours à l’écoute.”