Génitif pluriel des substantifs en croate

 

 

Note introductive:

Nous parlerons ici de croate, mais les informations données ci-dessous sont de façon générale valables pour l’ensemble des langues du BCMS et sont souvent tirées de la grammaire du BCMS1. Pour les exemples donnés, en cas de différence entre ces langues, nous faisons le choix de l’orthographe croate. Lorsque nous parlerons de spécificités du croate, ces mêmes spécificités existent dans les autres langues du BCMS. Il s’agit donc de spécificités par rapport aux autres langues slaves que le BCMS.

 

I.  On distingue trois grands modèles de déclinaison des substantifs en croate :

❀ La 1ère déclinaison (substantifs dont le génitif singulier est en -a), qui concerne :

        • la majorité des substantifs masculins consonantiques
        • les substantifs neutres

❀ La 2e déclinaison (substantifs dont le génitif singulier est en -e long), qui concerne :

        • la majorité des substantifs féminins (ceux qui se terminent en -a au nominatif singulier)
        • les substantifs masculins dont le nominatif singulier est en -a

❀ La 3e déclinaison (substantifs dont le génitif singulier est en -i), qui concerne :

        • les substantifs féminins consonantiques

 

II.  Une particularité du croate (ou, plus généralement, du BCMS) est la désinence de génitif pluriel ( identique pour la 1ère et la 2e déclinaison).

Cette désinence contient deux composantes :

        • l’allongement de la voyelle de l’avant dernière syllabe
        • la désinence elle-même, qui est un -a long.

 

III.  Cette désinence en -a long au génitif pluriel est donc universelle en croate, à deux exceptions près :

        • Les substantifs féminins consonantiques ainsi que quelques rares substantifs masculins consonantiques, dont le génitif pluriel est en -i long
        • Quelques substantifs, dont certains correspondent à des éléments du corps humain fonctionnant en paire. Leur génitif pluriel reprend alors la désinence ancienne du duel, la désinence -u (ou -iju) long.

 

IV.  Dans le cas de la désinence du génitif pluriel en -a long, il est possible de parler d’une originalité du croate, qui n’a pas suivi la même évolution que les autres langues slaves, ce qui implique :

        • l’ajout d’une désinence tirée des substantifs vieux-slave dont le thème est en -u au génitif pluriel des substantifs masculins consonantiques.

Cette désinence a parfois légèrement évolué de façon à être moins reconnaissable, en tchèque notamment :

 

        • la désinence „zéro“ pour les substantifs neutres et féminins, suite à la chute du jer faible qui faisait office de désinence de génitif pluriel en vieux-slave :

Exemple pour des substantifs féminins :

 

Exemple pour des substantifs neutres :

 

V.  Cette particularité de la désinence du génitif pluriel en -a long des substantifs du BCMS s’étend au comportement de la voyelle intercalaire.

Pour rappel, celle-ci est liée au mécanisme de transformation et de disparition des jers décrit par la loi de Havlík. En partant de la fin d’un mot, les jers impairs ont disparu, tandis que les jers pairs se sont vocalisés, ce qui a eu notamment pour effet de créer des alternances d’insertion et de chute de la voyelle dite intercalaire. En croate, ces vocalisations de jers se sont faites en -a.

La loi de Havlík est applicable au croate mais se heurte à ce génitif pluriel atypique. Si l’on met de côté le génitif pluriel, cette voyelle intercalaire se comporte « normalement » partout, en n’apparaissant qu’au nominatif singulier des substantifs masculins et à l’accusatif singulier des substantifs masculins non-animés.

Elle apparaîtra également au génitif pluriel des substantifs qui se terminent, hors désinence, par deux ou plusieurs consonnes.

 

VI.  Cela est donc le cas pour les substantifs masculins consonantiques, pour lesquels, dans les autres langues slaves, l’ajout de la désinence des substantifs à thème en -u du vieux-slave fait que cette voyelle intercalaire s’insère en croate à l’endroit où se trouvait le jer faible, c’est-à-dire celui qui chute, d’où l’absence de cette voyelle dans les autres langues.

 

VII.  La voyelle intercalaire des substantifs neutres et féminins vocaliques est conservée au génitif pluriel, en croate comme dans les autres langues slaves.

 

VIII.  Le croate va plus loin en ajoutant la voyelle intercalaire aux substantifs étrangers, démontrant ainsi à quel point la langue croate s’est détachée de la logique des jers en ce qui concerne ce génitif pluriel.

 

IX.   Dans la Grammaire comparée des langues slaves2, Vaillant explique ces particularités du génitif pluriel en croate (dans le texte, en serbo-croate štokavien, le dialecte štokavien servant de base au croate standard) de la façon suivante :

Le jer faible a en croate été maintenu dans certains cas et transformé en « a » long.

Cette nouvelle désinence -a long a été généralisée « en la superposant à l’ancien génitif sans désinence, qui lui-même avait généralisé l’allongement de la finale du thème. »

En croate, « la désinence -ɑ̄ et l’allongement de la syllabe précédente sont ainsi devenus les caractéristiques du génitif pluriel, dans tous les types de flexion. »

Il y a toutefois deux exceptions à cette règle :

        • le génitif pluriel en -i long, hérité du thème en -i
        • le génitif pluriel en -u long ou -iju, vestige du duel

 


 

Notes:

1   Thomas et Osipov: « Grammaire du BCMS », Paris : Institut d’Etudes Slaves, 2012. pp 70-121.

2  Vaillant André : « Grammaire comparée des langues slaves ». Tome 2 « Morphologie », IAC, 1958. p. 66.