Origine, nature et positions complémentaires des « u » longs

 

Dans le tableau des voyelles brèves vs longues (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/les-voyelles-opposition-longues-breves/), le « u » bref est opposé à deux « u » longs :

 

 

Un « ú » que je qualifierai de « standard » correspondant à la définition d’une voyelle longue : voyelle + diacritique (accent aigu = délka).

Un « ů »  voyelle + diacritique unique (petit rond = kroužek) qui n’a de « u » en fait que l’apparence. Il s’agit en réalité d’un « ó » qui s’est transformé en « ů » (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/contraction-de-o-uo-en-u/), mais conserve ses propriétés de o long, notamment dans la flexion nominale, ce que nous verrons plus loin.

Le tableau ci-dessous présente le fonctionnement de ces deux « u » longs:

 

 

1.  Le « ú » :

La particularité de ce u long est d’avoir muté en diphtongue « ou » dans toutes les positions, sauf en position initiale (1er caractère du mot). On ne le rencontre donc qu’en position initiale de mots tels que « účel » (but), « úhel » (angle), « úkol » (devoir), « úloha » (rôle, tâche), « úmysl » (intention), « úřad » (administration), …

Dans ce dernier cas, signalons que l’usage oral en « ouřad » a une valeur péjorative.

1.1. Exceptions au positionnement initial

1.1.a. Exception tchèque

Le mot tchèque « ocún » (colchique) s’écrit avec la délka. Toutes les autres exceptions sont liées à des emprunts.

1.1.b. Exceptions étrangères

La transcription de mots étrangers prononcés avec une longueur présente un caractère un peu plus aléatoire.

On y rencontre la délka, même en position finale dans le mot « ragú », parfois écrit « ragů ». Elle est habituellement à l’intérieur du mot comme dans « štrúdl) (Strudel), « múza » (muse), « medúza » (méduse), « kúra » (cure), « manikúra » (manucure), « pedikúra » (pédicure) et également « túra » (tour, circuit).

Ce qui est plus surprenant, c’est l’ensemble des mots terminés par « -tura », prononcés long, mais sans marque de longueur dans l’écriture : « kultura », « struktura », « architektura », « literatura », … et également « brožura » (brochure).

1.2. « ú », limite de morphèmes

Dans les autres cas, lorsque « ú » est ailleurs qu’en première position, il s’agit d’une limite avec un préfixe dans des mots tels que « bezúčelný » (bez|účelný) (sans but) ou d’une limite de composition comme dans « trojúhelník » (troj|úhelník ) (triangle).

 

2. Le « ů » :

Il apparaît dans toutes les positions, du deuxième caractère d’un mot au dernier où il prend une valeur particulière.

2.1. « ů » en tant que dernier caractère

Dans cette position, à deux ambiguïtés près (« domů »  et « dolů »), « ů » possède une valeur unique : il indique un statut de substantif masculin au génitif pluriel. Ce grammatème1 est obtenu automatiquement et sans exception. La seule ombre à ce tableau est que l’on ne connaît pas la forme de nominatif singulier et donc le modèle de déclinaison, ni même si ce substantif masculin est consonantique ou vocalique. En effet, si nous prenons les modèles de flexion des substantifs masculins, nous aurons bien « pánů », « hradů », « mužů », « strojů », « předsedů », « soudců ». Cette unité de forme cache en fait 6 types différents. La distinction la plus importante est la séparation entre masculin consonantique et masculin vocalique. Les formes « předsedů » et « soudců » sont afférentes aux deux types vocaliques « předseda » (modèle dur) (président) et « soudce » (modèle mou) (juge).

Les modèles consonantiques (c’est-à-dire terminés par une consonne) sont respectivement « pán » (modèle dur animé) (Monsieur, seigneur), « hrad » (modèle dur inanimé) (château fort), « muž » (modèle mou animé) (homme) et « stroj » (modèle mou inanimé) (machine).

Un programme participant à notre système d’analyse morphologique du tchèque conduit une exploration textuelle qui permet de déterminer le type précis de substantif masculin2.

Les mots « domů » et « dolů » peuvent être respectivement le génitif pluriel de « dům » (maison) et de « důl » (mine), mais aussi une forme adverbiale avec mouvement (à la maison) et (en bas).

Nous reverrons cette désinence dans la valeur des voyelles longues en fin de mot (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/valeur-des-voyelles-longues-en-fin-de-mot/).

2.2. « ů » dans les désinences

La désinence « ům » renvoie à un datif pluriel d’un substantif masculin ou neutre :

        • « strojům » datif pluriel du masculin « stroj » (machine),
        • « městům » datif pluriel du neutre « město » (ville).

Par contre, « atům » (at|ům) indique de manière univoque un substantif neutre au datif pluriel. De plus, nous savons qu’il appartient au modèle neutre à augment (-et- / -at-) désigné généralement comme le modèle des petits avec le référent « kuře » (poulet) :

        • « zvířatům » datif pluriel du neutre « zvíře » (animal).

2.3. « ů » dans les préfixes et alternances

On rencontre le « ů » dans des préfixes longs tels que « dů », « pů », « prů » qui indiquent une nature nominale face aux préfixes correspondants brefs « do », « po » et « pro » qui eux indiquent une nature verbale, lorsqu’ils sont opposés aux précédents. Voici quelques exemples :

        • « důkaz » (dů|kaz) (preuve)                 vs        « dokázat » (do|káz|at) (prouver)
        • « průjezd » (prů|jezd) (passage)        vs        « projíždět » (pro|jížd|ět) (passer en voiture)

2.4. « ů » comme support vocalique et alternances

En tant que support vocalique « ů » peut se trouver dans des jeux d’alternances.

2.4.a. dans la flexion nominale

Dans la flexion des substantifs masculins, on rencontre au singulier une alternance possible en nominatif et accusatif longs, les autres cas (dits „obliques“) étant brefs. Nous aurons ainsi:

 

Nominatif long:

Génitif bref:  

Datif bref:    

Accusatif long:

Vocatif bref:  

Locatif bref:  

Instrumental bref :   

( dvór ⇨ dvuor ⇨ ) dvůr (cour)

dvora

dvoru

( dvór ⇨ dvuor ⇨ ) dvůr

dvore

dvoře

dvorem

Ces phénomènes seront revus dans un bref chapitre introductif à la morphologie flexionnelle (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/alternances-et-paradigmes-de-flexion/)

2.4.b. dans la flexion verbale

Un exemple type d’oppositions « o/ů » est offert par la forme littéraire de la conjugaison du verbe « moci » (pouvoir) au présent :

 

moh-u

můž-eš

můž-e

můž-eme

můž-ete

moh-ou

« o » bref

« ů » long

« ů » long

« ů » long

« ů » long

« o » bref

Vous trouverez de quoi comprendre les différences entre norme écrite (littéraire) et norme parlée en consultant https://linguotheque.huma-num.fr/deriver-le-tcheque-parle-a-partir-de-la-norme/. Cela éclairera les oppositions « moci / moct », « mohu / můžu » et « mohou / můžou ».

Un autre type d’opposition « o/ů » est donné par des verbes tels que « stát » (être debout), forme contractée de l’infinitif (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/contraction-premiere-periode/) qui a une conjugaison au présent qui elle n’est pas contractée en « stojím », « stojíš », « stojí », … avec le « o » bref. Ce « o » bref s’oppose au « ů » (« o » long) de l’impératif : « stůj! ».

2.4.c. dans la dérivation

L’alternance « o/ů » existe également en dérivation, mais contrairement aux situations précédentes elle n’existe pas dans une seule direction prédéterminée. Elle présente une double possibilité sans qu’il n’y ait de véritables critères pour prédire dans quel sens fonctionne l’alternance.

Ainsi, nous aurons :

        • « sůl » (sel) face aux dérivés « solnice » (grenier à sel), « solnička » (salière), soit une alternance « ů/o », du « o » long vers le « o » bref,

contrairement à :

        • « most » (pont) face à son diminutif « můstek » (petit pont, passerelle), soit une alternance « o/ů », du « o » bref vers le « o » long.

2.5. « ů » dans quelques mots étrangers

On trouvera des mots étrangers tels que « šňůra » (cordon) qui vient du mot allemand féminin « Schnur », « růže » (la rose) qui n’est plus ressenti comme étranger, mais aussi des mots vieillis et inusités actuellement tels que « růž » (rouge à lèvres) utilisé pendant la Première république sous l’influence alors importante du français. Ce mot est aujourd’hui remplacé par « rtěnka », dérivé de « ret » (lèvre).

 


Notes:

1   Le grammatème est l’ensemble des valeurs grammaticales d’un mot.

2   Présenté au congrès Aranea 2018 à Bratislava sous l’intitulé « Grammaire synchronique et diachronique pour l’analyse automatique heuristique de corpora tchèques ». Ce programme sera vraisemblablement présenté sur ce site dans la section « analyse automatique du tchèque ».