Présentation du dictionnaire raisonné berbère – français

 

Dictionnaire raisonné berbère-français

Parlers du Maroc

Amawal unẓiẓ tamaziɣt-tafṛansist

Alsiwn n lmeɣrib

 de

 Miloud Taïfi

 

 

Introduction

Le Dictionnaire raisonné Berbère-Français (Parlers du Maroc), de Miloud Taïfi, publié par l’Ircam (Rabat) en décembre 2017, n’est pas sans lien, bien entendu, avec le dictionnaire publié en 1992 sous le titre « Dictionnaire Tamazight-Français (Parlers du Maroc central) » chez l’Harmattan. Ce dernier étant écrit à la main, il a fallu procéder à sa saisie, afin que son contenu puisse être exploité.

Cependant, il est à signaler que le nouveau dictionnaire est différent du dictionnaire de 1992. Le seul point commun étant la présence de la masse lexicale du premier (1992) dans le nouveau (2017) ; l’éclairage, en revanche, est différent. Le deuxième dictionnaire est donc une version corrigée, augmentée et remaniée du premier.

Il convient également de signaler que ce projet est né d’une collaboration avec Patrice Pognan, professeur des universités, spécialiste de la calculabilité des langues et du multilinguisme. En effet, c’est dans le cadre d’une coopération franco-marocaine très active depuis 1996 que les deux auteurs ont travaillé à la mise en œuvre pratique du concept de système linguistique qui sous-tend le « Dictionnaire raisonné berbère-français ». Dans le même volume, on trouve deux lexiques associés au dictionnaire qui sont élaborés par Patrice Pognan : le premier lexique permet de lier les mots berbères à leurs racines et le second autorise l’usage du dictionnaire à partir du français avec une correspondance entrée française – racines berbères.

 

Le berbère a besoin d’un dictionnaire qui reconstitue le système de la langue

L’éclairage est parti d’un principe raisonnable selon lequel le dictionnaire berbère doit être un dictionnaire qui reconstitue le système de la langue, indépendamment des réalisations des usagers.

L’évolution du statut du berbère au Maroc (promotion au rang de langue officielle, introduction dans le système éducatif, mise en place de l’Ircam qui s’occupe de la promotion du berbère au Maroc) fait que le berbère n’est plus considéré comme un ensemble de simples dialectes vernaculaires, mais il est devenu langue nationale et officielle. Selon l’auteur du Dictionnaire raisonné, ce nouveau statut de la langue berbère exige son unification de sorte que ça ne soit plus des parlers épars, mais une langue plus au moins homogène. Et c’est dans cette perspective que ce dictionnaire a été réalisé.

Considérant qu’au-delà des différenciations dialectales, il y a tout de même une unité, l’auteur a insisté beaucoup plus sur les similitudes que sur les différences. Cela constitue un pas en avant dans les études berbères dans la mesure où jusqu’à présent les études berbères ont toujours insisté sur les différences entre les parlers beaucoup plus que sur ce qui les rassemble. L’auteur considère que si l’idée d’éparpillement des langues a dominé pendant des années, c’est parce que les études dialectologiques ont dominé les études berbères. Par ailleurs, des enquêtes lexicologiques sur le terrain ont permis à l’auteur de constater que les parlers du Maroc ne sont pas aussi différenciés que l’on puisse le croire. De plus, le changement de la situation marqué par les mouvements des populations, les médias, l’introduction du berbère dans le système éducatif, l’établissement des filières de berbère au sein de l’université, a fait que les parlers se sont rapprochés : plus les locuteurs se rapprochent, plus ils ont tendance à faire des efforts pour constituer une langue commune. L’ensemble de ces éléments ont fait décider M. Taïfi et P. Pognan à faire un dictionnaire qui va dans cette perspective d’unification (et non d’uniformisation) de la langue berbère indépendamment de ses particularismes dialectaux.

 

1.  Le dictionnaire

Ouvrages de 1700 pages, 1205 pages sont consacrées au Dictionnaire proprement-dit. 166 pages sont consacrées à l’index 1 et  316 pages à l’index 2, 3 pages à la préface de Lionel Galand, 15 pages à l’introduction de l’auteur et 5 pages à l’introduction des index par P. Pognan.

La partie « dictionnaire » comporte 8027 racines consonantiques avec 17597 entrées lexicales. On y trouve également 13520 exemples servant à illustrer les différents effets de sens.

 

2.  La préface de Lionel Galand

Déjà en 1992, c’est Lionel Galand qui était l’auteur de la préface du « Dictionnaire Tamazight-Français », de Miloud Taïfi, publié par l’Harmattan-Awal. Et à l’époque, Lionel Galand considérait le dictionnaire de M. Taïfi comme un usuel que tous ceux qui s’intéressent aux langue et culture berbères devaient avoir, car il répondait à une attente.

Lionel Galand considère que dans ce nouveau dictionnaire, M. Taïfi n’a pas fait une simple édition « revue et corrigée », mais il estime que l’auteur a « décidé de prendre en compte les effets du courant qui veut affirmer l’identité berbère et mettre en évidence ce qui unit les différents parlers plutôt que ce qui les sépare ». Et pour enrichir le vocabulaire, l’auteur préfère visiblement « oublier les frontières entre parlers et faire appel à des mots venus de régions différentes, mais bien réels », explique Lionel Galand dans sa préface. Ce dictionnaire « raisonné » est, pour Lionel Galand, également raisonnable car il veut « ressortir les traits les plus généraux qui caractérisent le berbère, mais, avec réalisme ». Selon lui, si le précédent dictionnaire (1992) transparaît dans le nouveau (2017), l’éclairage, en revanche, est différent.

Lionel Galand décrit un changement de perspective de l’auteur du nouveau dictionnaire qui a fait de l’unification de la langue un axe important. Et il note d’autres nouveautés comme les corrections opérées, les articles enrichis ou encore ceux ajoutés. Il note également, tout comme pour le dictionnaire de 1992 mais davantage, la clarté et l’efficacité de la présentation.

Lionel Galand conclut sa préface en qualifiant l’œuvre de Miloud Taïfi de « dictionnaire à la fois riche du passé, reflet du présent et prometteur ».

 

3.  Du dictionnaire Tamazight-Français (Parlers du Maroc central) au Dictionnaire raisonné Berbère-Français (Parlers du Maroc)

a.  Correction, augmentation et remaniement

La mission a consisté à récupérer un document écrit à la main sous forme de fichiers informatiques (Word), par la suite procéder à la correction, l’augmentation (la masse lexicale est augmentée de 60 %) et enfin le remaniement. Sur le plan méthodologique, les auteurs de l’ouvrage ont adopté un certain nombre de décisions comme la neutralisation des changements phonétiques en reconstituant les formes de base ou encore la dilution des  complexes phonétiques si nombreux issus de l’assimilation – le caractère orale de la langue berbère fait, en effet, apparaître des phénomènes d’assimilation qui sont nombreux – en reconstituant tous les mots qui les constituent. Dans le premier cas, il s’agit de reconstituer les formes de mots dans leurs bases phonétiques. Il y a lieu donc de neutraliser tout changement phonétique considéré comme une altération à la phonie basique. Exemple : en tarifit, on dit « iǧǧi » (ma fille), alors que dans l’ensemble du domaine berbère on dit « illi ». Voilà un changement phonétique qui altère complètement la forme de base.

Pour augmenter la masse lexicale, l’auteur s’est appuyé sur deux sources essentielles. D’abord les matériaux des nombreux travaux sur le lexique, majoritairement académiques, qui portent sur les trois parlers marocains. L’autre source est la littérature orale (chants, poésie, proverbes, devinettes, contes,…) ainsi que des textes authentiques. Les corpus proviennent de documents publiés mais aussi de corpus collectés par des étudiants de l’auteur dans le cadre de leurs travaux académiques en thèse (Amrani 2007, Kich 2007, Jarmouni 2009).

 

b.  Une écriture phonologique et grammaticale

Les deux auteurs ont opté pour une écriture phonologique et grammaticale qui permet, au niveau de l’écriture, de rendre visible l’ensemble des constituants de la langue. Pour cela, ils ont mis en œuvre un système qu’ils estiment valable pour l’ensemble des dialectes et parlers du berbère, à l’exception du touareg, qui pourraient l’adopter. En effet, l’unification de l’écriture est considérée comme élément fondamental dans une démarche d’unification de la langue qui semble être le choix et l’option des auteurs.

L’objectif était donc de procéder à « l’identification des objets linguistiques tels qu’ils se présentent dans le système de la langue », indépendamment des performances des locuteurs. Ainsi, l’ensemble des éléments  lexicaux et grammaticaux de la langue sont rendus visibles et transparents dans l’écriture. Aussi, toutes les fois où cela est possible, il est procédé à la reconstitution des éléments constitutifs de la racine qui subissent des altérations ou changements dans les formes de mot lors des réalisations phonétiques.

 

c.  Un dictionnaire de l’ensemble des parlers du Maroc

Ont été introduits dans ce dictionnaire, du moins pour le lexique commun, tous les mots qui sont parlés et qui sont considérés comme étant berbères, en partant d’un principe fondamental qui est celui de considérer que la langue berbère existe (comparativement au français, au chinois, au portugais etc.) et que les variations internes au berbère n’altèrent en rien son homogénéité. En ce sens, ce dictionnaire répertorie la masse lexicale commune de tous les parlers du Maroc (tarifit, tamazight et tachelhit). M. Taïfi estime que si le dictionnaire ne comporte pas la totalité de la masse lexicale des parlers berbères du Maroc (aucun dictionnaire n’est exhaustif), en revanche il est le dictionnaire dont la collecte tend le plus vers l’exhaustivité. 

Comme son titre l’indique, le nouveau dictionnaire se veut un ouvrage dont la masse lexicale regroupe des formes de mots et / ou de significations nouvelles attestées dans l’ensemble des zones géolinguistiques berbérophones du Maroc qui viennent augmenter et enrichir la masse lexicale contenue dans le dictionnaire de 1992 et qui regroupe principalement les parlers pratiqués dans le Maroc central.

 

4.  Le « Dictionnaire raisonné Berbère-Français (Parlers du Maroc) »

a.  Un dictionnaire bilingue

Elaborer un dictionnaire bilingue fait appel à des compétences respectables dans les deux langues. Une attention très particulière a été donc accordée à la traduction en français du fait notamment que les deux langues, berbère et français, sont foncièrement différentes du point de vue historique et du point de vue culturel notamment. En effet, la traduction des expressions idiomatiques berbères n’a pas été chose facile. Il en est de même pour la traduction des proverbes. Il a été donc décidé d’opter pour les gloses. Ainsi, pour une expression figée en berbère qui n’a pas d’équivalent en français, il est d’abord donné une traduction littérale – pour donner une idée du fonctionnement syntaxique de la locution – avant de l’expliquer en français.

Aussi, en l’absence d’équivalent français pour des termes berbères, notamment issus de la dérivation, il a été, là aussi, fait appel à la glose.

 

b.  Comparaisons

Comme pour le dictionnaire de 1992, l’auteur a jugé utile de comparer les données de ce nouveau dictionnaire avec le kabyle en se référant surtout au dictionnaire de J.-M. Dallet (1982). Il estime que si la comparaison peut servir aux études dialectologiques, elle permet également de montrer que les différents dialectes berbères se partagent un grand nombre de racines même s’il arrive que des mots formés à partir de la même racine ne recouvrent pas toujours les mêmes sens. L’auteur a donc fait le choix de ne noter le rapprochement avec le kabyle que dans les situations où les parlers berbères du Maroc et le kabyle présentent au moins un sens commun.

La comparaison avec l’arabe, existante dans le premier dictionnaire, a été également maintenue dans le nouveau dictionnaire.

De façon sporadique, il est indiqué, lorsque cela est jugé plausible, l’origine des emprunts faits à d’autres langues comme le français, l’espagnol, le latin ou encore le turc.

 

c.  Possibilité d’exploration du dictionnaire

Les traitements informatisés réalisés sur le dictionnaire permettent d‘obtenir un certain nombre d‘indications chiffrées. Mis « à plat », le dictionnaire représente plus de 8000 racines, plus de 40000 enregistrements informatiques, près de 18000 articles dont 5000 concernent des verbes simples ou dérivés et un total de 2700000 caractères. C‘est aussi un ensemble de 13500 exemples et locutions berbères authentiques.

La masse lexicale étant ainsi dans la machine, cela offre une multitude de possibilités de l’exploiter. A titre d’exemple, tirer toutes les expressions figées, ou encore tous les exemples de chants ou de poésie; en faire un dictionnaire des synonymes et d’autres réalisations encore.

Ainsi, le dictionnaire est donc aussi bien utile à l’usager qui cherche le sens d’un mot qu’aux chercheurs qui mènent des recherches sur la langue.

 

5.  Méthode et contenu

a.  Classification par racines

Le choix adopté dans le classement est le classement par racines. Pour M. Taïfi, ce sont les structures morphologiques du lexique berbère elles-mêmes qui exigent une telle classification qui permet de « réunir dans le dictionnaire ce qui est réuni dans la langue ».

Le mot berbère combine une racine et un schème. La racine, relevant du lexique, comporte une ou plusieurs consonnes dont l’ordre est impératif ; le schème, quant à lui, a une valeur grammaticale et constitue un cadre formel dans lequel s’encastre la racine.

Une racine peut désigner un mot isolé comme elle peut désigner toute une famille lexicale. La racine XS, par exemple, se trouve dans « axs » (ce serait-ce par ; peut-être que), dans « xes » (aimer désirer, vouloir avoir envie de), dans « tixsi » (brebis) ou encore dans « uxs » (dent molaire) : page 431 du dictionnaire. L’ensemble de ces termes se partagent la même racine mais sont formés de schèmes différents : ils sont donc regroupés en une famille lexicale.

La classification par ordre alphabétique des mots aboutirait à des « dégroupements » de ces derniers ce qui, selon l’auteur, « détruirait non seulement l’unité de la famille lexicale mais obligerait aussi à répéter plusieurs fois les mêmes définitions sémantiques ». L’autre souci est que le dictionnaire, avec une classification alphabétique, verrait la majorité des noms masculins traitée sous A et la presque totalité des noms féminins sou T.

Si la classification par ordre alphabétique assure la facilité de la consultation d’un dictionnaire (certes, un usager non averti préférerait aisément la recherche par ordre alphabétique), elle met, en revanche, en contradiction les besoins du lexicographe et ceux du lecteur. L’auteur ayant considéré qu’un dictionnaire est toujours destiné à ceux qui ont acquis les bases élémentaires de la langue recensée, il a donc naturellement tranché pour la classification par la racine qui répond aux exigences du berbère.

Aussi, le « Dictionnaire raisonné Berbère du Maroc – Français » se veut un usuel à la disposition aussi bien de lecteurs avertis, notamment les chercheurs, que de tout autre utilisateur ayant les connaissances requises pour en faire usage.

Une fois dégagées, les racines sont classées dans l’ordre alphabétique choisi par l’auteur adapté aux phonèmes particuliers du berbère. Beaucoup de racines sont homonymes (composées des mêmes consonnes), cela concerne les racines monolitères (jusqu’à 28 occurrences) et les bilitères mais plus rarement les trilitères.

Ordre de classification des racines homonymes :

sont notées d‘abord celles qui fournissent les outils grammaticaux (pronoms, particules, conjonctions…), ensuite les racines verbo-nominales et, en dernier lieu, les racines qui sont exclusivement nominales.

Chaque racine dégagée est indiquée en lettres capitales :

Elle constitue l’entrée vedette d’une ou de plusieurs sous-entrées, unités lexicales (mots) qui auraient eu la vedette dans un classement alphabétique.

Organisation des entrées:

En face de la racine, à droite sur la même ligne, sont indiqués soit l’origine, quand elle est bien établie, soit les rapprochements avec d’autres langues, notamment, ce qui est plus fréquent, avec l‘arabe et/ou le kabyle.

Chaque sous-entrée ou unité lexicale est introduite au début de la ligne par un losange (le signe ♦) ; sont notées immédiatement après, à l‘aide de la barre oblique / les variantes phonétiques ou morphologiques.

Le triangle tourné à droite (signe ►) introduit les sens.

Les exemples viennent après le sens, précédés d’un point (signe ●).

La traduction est séparée de l‘exemple par une simple virgule, séparateur ambigu.

La traduction littérale ou une note explicative sont toujours mises entre parenthèses.

Cependant, il subsiste quelques problèmes quant à l’utilisation de la racine, définie en tant que simple groupe formel, dans un travail lexicographique. Et l’auteur y est confronté.

En effet, la racine doit comporter un sens fondamental mais aussi un invariant sémantique que doivent se partager les mots regroupés dans cette racine. Mais certaines racines renvoient à des mots qui ne partagent pas forcément le même invariant sémantique.

Si on prend, à titre d’exemples, les mots « fsus » (être léger), « sefsus » (rendre léger, alléger), « tafessi » (légèreté), « afessas / anafsas » (léger), ils se partagent tous la racine FS avec le sens de base de « légèreté » : ils peuvent donc être regroupés sous cette racine FS. En revanche, les mots « afs » (enfoncer), « fsu » (défaire), « afus » (main) ne peuvent pas être regroupés avec les mots précédents.

Il y a donc deux critères qui s’imposent : la forme et le sens.

Il y a par ailleurs la question de la polysémie qui peut rendre délicat le regroupement de certains mots. Ainsi, dans certains cas, c’est la subjectivité qui a présidé au choix effectués par l’auteur.

Le lecteur trouvera parfois des rapprochements sémantiques qui ne sembleront pas toujours évidents, car parfois les rapports sémantiques établis par l’auteur ne sont que des hypothèses que l’auteur a dû trancher par subjectivité.

 

b.  Reconstitution des racines

Certaines racines subissent des modifications au point, parfois, de devenir méconnaissables. Et comme le Dictionnaire raisonné est conçu dans la perspective de la mise en évidence du système de la langue, l’auteur a jugé utile de reconstituer dans leur « forme primitive » les racines altérées. A titre d’exemple « ggwd » (avoir peur) est classé dans la racine WD et non GD, ou encore le mot « aseqqen » (corde) relève ƔN  et non QN.

Pour rétablir les racines dans leur forme « primitive », il a fallu, dans un premier temps, identifier les différentes altérations qu’elles ont subies.  L’auteur a relevé trois phénomènes importants qui sont les « changements phonétiques » (responsables des plus grandes altérations avec un phénomène dû aux évolutions simples des variantes selon les parlers et un autre phénomène dû aux accommodations et assimilations phonétiques), « l’augmentation des racines » (c’est le cas de « afdiz »1 et « aḥuddiz »2 issus de la racine DZ3) et « la réduplication » (certaines racines sont formes par réduplication ou redoublement de l’une ou de deux de leurs radicales, c’est le cas notamment des racines quadrilatères. Par exemple « bubba » et « fafa » sont classés sou B et F et non sous BB et FF).

 

c.  Organisations des articles sous une même racine

Comme indiquées précédemment (5-a), les racines dégagées sont classées par ordre alphabétique, selon l’ordre des lettres fixé par l’auteur.

Pour les racines verbo-nominales, sont d’abord notés les verbes simples (non dérivés), viennent ensuite les verbes dérivés introduits par les préfixes de dérivation4 correspondant qui sont séparés du verbe par le caractère spécial « tiret cadratin » (signe —).

Pour chaque verbe simple ou dérivé, il est noté successivement la forme de l’aoriste, celle de l’accompli (ou prétérit) avec les variantes de conjugaison s’il y a lieu, celle de l’inaccompli (aoriste intensif) et celle de l’accompli négatif (prétérit négatif).

Après les verbes simples et dérivés viennent les dérivés nominaux : le nom d’action ou d’état est généralement énoncé le premier.

Pour les racines nominales, le classement part du dérivé simple au dérivé complexe.

L’état d’annexion est noté entre parenthèses pour les nominaux dont l’initiale est la voyelle « a » ou « u ». L’auteur a délibérément renoncé à noter l’état d’annexion pour les formes nominales ayant pour initiale la voyelle « i ». L’état d’annexion de ces dernières comporte systématiquement un « y » à l’initiale: igdi > yigdi « chien »).

Sur la même ligne sont énoncés le masculin pluriel, et pour les adjectifs le féminin singulier et le féminin pluriel.

 

6.  Système graphique

A l’exception de « ḥ », le point souscrit marque l’emphase (ḍ, ṭ, ṣ, ẓ). La tension est notée par le redoublement des lettres concernées. Les labio-vélarisées sont notées par un « w » en exposant. Les affriquées sont notées par deux graphèmes (dž, dz, ts, tš). Chacune d’elles constitue un seul phonème ; elles sont classées respectivement, selon le cas, sous D ou T ou bien sous Ž, Z ou Š.

L’auteur a fait le choix de renoncer à la notation des spirantes ainsi que certaines particularités phonétiques propres à chaque parler.

Quant aux emphatiques, seules les vraies parmi elles sont notées dans ce dictionnaire.

Le phénomène de voisement de certaines consonnes dans des contextes qui l’engendrent n’a pas été noté.

Les assimilations ne sont pas notées, et l’auteur rétablit dans l’écriture les différentes assimilations dans leurs formes canoniques ; il a également démêlé les amalgames phonétiques en maintenant séparés les éléments en contact.

Le trait d’union (-) est utilisé pour indiquer un phénomène de syntaxe qui montre un lien entre un élément lexical et un élément grammatical.

 

7.  La notation graphique adoptée ainsi que l’ordre des lettres choisie.

Voici les lettres adoptées par l’auteur ainsi que l’ordre dans lequel il les classe :

a, b, d, ḍ, f, g, ġ, h, ḥ, x, i, ž, k, l, m, n, q, r, s, ṣ, š, t, ṭ, u, w, y, z, ẓ, ɛ.

Ci-après le tableau avec majuscules et minuscules dans l’ordre alphabétique adopté :

 

A  a

B  b

D  d

Ḍ  ḍ

F  f

G  g

Ġ  ġ

H  h

Ḥ  ḥ

X  x

I  i

Ž  ž

K  k

L  l

M  m

N  n

Q  q

R  r

S  s

Ṣ  ṣ

Š  š

T  t

Ṭ  ṭ

U  u

W  w

Y  y

Z  z

Ẓ  ẓ

Ɛ  ɛ

 

 

Il est à noter que par rapport à la transcription adoptée à l’Inalco (la “notation usuelle”), le choix adopté par l’auteur présente des différences pour trois phonèmes :

            « ɣ » est noté « ġ »; « j » est noté « ž » et  « c » noté « š ».

ɣ

j

c

ġ

ž

š

 

Par ailleurs, nous constatons l’absence de l’emphatique « ṛ » ainsi que du phonème « ǧ ».

 

8.  Les index

Comme il a été indiqué à l’introduction, le même ouvrage comprend deux lexiques élaborés par Patrice Pognan qui sont associés au dictionnaire. Le premier permet de lier les mots berbères à leur racine et le second fait correspondre des racines berbères à des significations françaises données comme entrées..

 

Patrice Pognan a transformé les 29 fichiers Word (un par lettre alphabétique) du dictionnaire en fichiers .txt (fichiers bruts) à la norme Unicode UTF8 qui est un code qui permet le multilinguisme (il y a des tables qui permettent d’avoir dans le même texte des langues différentes). Ils ont été fusionnés pour donner un seul fichier qui a servi de corpus pour tous les traitements ultérieurs. A partir de ce corpus, une série de programmes produit une plateforme adéquate à la construction d‘une base de données comprenant le même contenu que le dictionnaire d‘origine, augmenté de valeurs grammaticales calculées automatiquement.

 

Le fichier obtenu de la fusion est un immense corpus dictionnairique (un énorme fichier) qui présente 2,7 millions caractères. Dans ces 2,7 millions caractères, il y a plus de 8000 racines. Le dictionnaire est donc un ensemble lexical important qui est fait sur la base de ces quelque 8000 racines, mais avec beaucoup plus de formes de mots sans compter les formes fléchies (conjugaisons et différentes formes nominales), ce qui a permis à l’auteur d’effectuer des traitements. Et ce traitement est rendu possible par le fait que le dictionnaire de Taïfi, comme celui de Dallet, est un dictionnaire bien structuré. La racine est en lettres capitales (et c’est la seule chose qui soit en lettres capitales dans le dictionnaire).

 

Après tout le travail effectué, l’auteur obtient un grand dictionnaire « à plat », mais structuré et qui permet de faire pratiquement tout ce que l’on veut : on peut reconstruire des bases de données, on peut faire des textes consultables avec des formats actuels (XML, HTML, etc.). C’est une sorte de récipient, réservoir, de connaissances dans lequel on va puiser par programmes les choses que l’on souhaite.

Pour ce dictionnaire, Patrice Pognan a déjà réalisé:

        • un lexique « mot berbère » avec renvoi vers sa racine. L’idée est de donner la possibilité aux Amazighs, notamment ceux dont les parlers n’ont pas les mêmes types d’alternances consonantiques, d’accéder à la découverte de la racine plus facilement ;
        • le deuxième index est plus intéressant. En réalité, il ne s’agit ni d’un index ni d’un dictionnaire français-berbère, mais d’un instrument particulier, conçu de manière particulière, qui permet de rechercher des éléments dans la partie berbère du dictionnaire à partir du français. L’idée étant d’avoir plusieurs mots français qui peuvent renvoyer vers la même racine berbère.

Certaines gloses tiennent sur plusieurs lignes ; il s’agit donc dans ce cas de sélectionner des mots (2 à 5) représentatifs (sorte de mots clés) d’éléments appartenant au mot expliqué par la glose. L’idée est de prévoir les mots qui peuvent venir à l’esprit dans ce qui peut expliquer le mot berbère en question.

Cette partie-là est intéressante aussi pour une application qui consiste en la génération automatique d’un « Taïfi inversé » que P. Pognan compte réaliser.

 


 

Notes:

1    « afdiz » = masse de forgeron.

2    « aḥuddiz » = poing, coup de poing

3    DZ → dez = battre, piler.

4    Les préfixes de dérivation sont représentés par les symboles suivants et sont cités dans cet ordre : Tu, S, N, Tus, M, Ms, Sm, Msm, Msn, Smn.

Masin Ferkal