Le tableau ci-dessous présente les 4 catégories lexicales fondamentales (verbe, substantif, adjectif et adverbe) en relation avec leurs éventuelles désinences longues. Nous allons examiner la valeur des différentes voyelles longues en fin de mot.
Bien compris et bien mémorisé, ce type de démarche peut être très utile pour analyser un texte, en particulier lorsque vous êtes sans outil, par exemple lors d’une épreuve d’examen.
1. examen de « ú//ó/ů »
Ce ne sont plus des inconnus : le chapitre précédent nous a dévoilé leur complémentarité et surtout le fait que « ů » en fin de mot désigne un substantif masculin au génitif pluriel : « pánů », « hradů », « mužů », « strojů », « předsedů », « soudců » pour les substantifs « pán » (Monsieur, seigneur), « hrad » (château fort), « muž » (homme), « stroj » (machine), « předseda » (président), « soudce » (juge). Ce fait (marqué « 1 » dans le tableau) ne connaît comme exception que la présence ambiguë de « domů » et « dolů » ayant valeur adverbiale avec mouvement (à la maison et en bas) notée « rare » dans le tableau.
En ce qui concerne le « ú » en dernière position, nous avons rencontré le mot étranger « ragú » dans des expressions telles que « srnčí ragú » (ragout de chevreuil) ou « kančí ragú » (ragout de sangier). . Seuls les mots « depó » (dépôt ferroviaire) et « tabló » semblent pouvoir accepter le o long en finale.
2. adjectifs
Avant d’examiner les autres voyelles longues, nous présenterons de manière globale la catégorie lexicale la plus largement concernée : celle des adjectifs.
L’adjectif a une position très particulière : il est toujours terminé par une désinence longue, soit une désinence contenant une voyelle longue, soit la diphtongue « ou » à l’accusatif et à l’instrumental du féminin dur singulier. C‘est une caractéristique liée à la première période de contraction (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/contraction-premiere-periode/) avant la fin du 10ème siècle pendant laquelle les suites « voyelle – j – voyelle » ont perdu le « j » intervocalique provoquant la contiguïté des deux voyelles devenues par la suite une voyelle longue. Ce phénomène a profondément changé la morphologie tchèque non seulement au niveau de l’adjectif, mais aussi du verbe qui voit l’apparition de la 5ème classe « dělat ».
Ainsi, si tout mot terminé par une désinence longue n’est pas forcément un adjectif, un adjectif est, lui, toujours terminé par une désinence longue. Dans le tableau ci-dessus, les voyelles longues « á », « é », « í » et « ý » sont des désinences valides d’adjectifs :
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- « á » est le nominatif singulier d’un féminin dur : « nerozbitná panenka » (une poupée incassable), « vysoká postava » (haute stature), le nominatif, l’accusatif et le vocatif pluriel d’un neutre dur : « to jsou vysoká okna » (ce sont de hautes fenêtres).
- « é » peut être le génitif, le datif ou le locatif d’un féminin dur : « tento druh hmyzu zasahuje až do Malé Asie » (cette espèce d’insecte s’étend jusqu’en Asie mineure), le nominatif ou le vocatif pluriel d’un masculin inanimé dur : « květnaté trávníky » (des gazons fleuris) ou d’un féminin dur « otužilé trvalky » (des plantes vivaces résistantes), l’accusatif pluriel d’un masculin dur : « pěstuje květnaté trávníky » (il cultive des gazons fleuris) ou d’un féminin dur : « ořezávají otužilé trvalky » (ils taillent des plantes vivaces résistantes). Notons également la présence d‘adjectifs d’origine française « reservé », « glazé » (en chevreau) par exemple « glazé rukavice » (gants en chevreau).
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« í » est omniprésent dans la flexion des adjectifs mous, au masculin singulier nominatif et vocatif, au masculin inanimé singulier accusatif, à tous les cas féminins au singulier, au neutre singulier nominatif, accusatif et vocatif, au pluriel pour les 3 genres au nominatif, accusatif et vocatif, par exemple « jarní» (printanier) (cf. https://linguotheque.huma-num.fr/declinaison-longue-molle/).
L’adjectif « jarní» est choisi comme modèle de la flexion des adjectifs mous. Dans le cas de cet adjectif, la terminaison « ní » est composée du suffixe « n » et de la désinence « í » (i mou long). Les adjectifs terminés en « ní » représentent la sous-catégorie la plus abondante d’adjectifs mous. L’essentiel des adjectifs d’origine étrangère relève de ce modèle. Pour autant, un adjectif mou n’est pas nécessairement étranger, loin de là ! J’estime que la proportion des adjectifs étrangers est de l’ordre de 60%, ce qui laisse une place importante aux adjectifs mous tchèques, contrairement à ce qui se passe en slovaque où la catégorie des adjectifs mous (modèle « cudzí ») est réduite.
Il convient de présenter une catégorie d’adjectifs mous obtenus par simple ajout de la désinence « í » au radical de substantif. Il s’agit d’adjectifs qui fonctionnaient comme adjectifs d’appartenance avant que cette catégorie n’apparaisse. En tchèque contemporain, ce sont pour l’essentiel des adjectifs formés sur des noms d’animaux : « želví » (de tortue) formé à partir du substantif féminin dur « želva », par exemple « želví polévka » (soupe de tortue), « psí » (de chien, canin) à partir de « pes », par exemple « psí bouda » (la niche du chien), « psí počasí » (un temps de chien), « kočičí » (de chat) à partir de « kočka », par exemple « kočičí hlavy » (pavés avec la face haute arrondie – comme sur les trottoirs pragois traditionnels). De l’époque où ces adjectifs étaient employés comme adjectifs d’appartenance, il nous reste quelques mots tels que « Boží » (de Dieu) de « Bůh » face à l’adjectif « božský » (divin), sens propre et dérivé, « člověčí » (de l’homme, humain) de « člověk » (homme, sens générique).
- « ý » est exceptionnel, car le fait de le rencontrer comme dernier caractère d’un mot indique que ce mot est un adjectif dur masculin au nominatif singulier ou un accusatif singulier d’un masculin inanimé. En tchèque actuel, il n’existe que deux exceptions : « prý » (à ce qu’il paraît) et « úterý » (mardi). Les désinences « ého », « ých », « ými » reconnaissent, sans exception, l’un des (environ) 16 000 adjectifs durs au cas afférent, génitif singulier masculin ou neutre, accusatif singulier d’un masculin animé pour « ého », génitif ou locatif pluriel de tous les genres pour « ých » et instrumental pluriel de tous les genres pour « ými » : « směs s okrasnými rostlinami » (un mélange avec des plantes décoratives).
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3. examen de « á »
En dehors des valeurs d’adjectifs, « á » en tant qu’élément final d’un mot peut être la désinence d’un verbe de 5ème classe de type « dělat » (faire) et ceci de manière aussi fréquente que pour les adjectifs : « vybírá desky » (il choisit des disques), « poslouchá hudbu » (il écoute de la musique).
Le tableau indique « rare » pour la présence de « á » comme dernier caractère d’un substantif. Il s’agit, en effet, de quelques mots d’origine française, plutôt ancienne, où le « á » transcrit la nasale [ã] (« an », « en ») du français, par exemple « apartmá », « angažmá », « aranžmá ».
La terminaison « á » peut également marquer un adverbe tel que « možná » (peut-être, il est possible).
Signalons enfin la présence du pronom personnel de première personne du singulier au nominatif : « já » (je, moi).
4. examen de « é »
Il convient, en premier lieu, de prendre en considération le fait qu’un mot terminé par « é » ne peut pas être un verbe en dehors des adjectifs issus des participes verbaux1.
En dehors des adjectifs présentés plus haut, une terminaison en « é » peut marquer des substantifs d’origine française en petit nombre faisant partie de la liste : « abbé », « atašé », « autodafé », « buklé », « defilé », « dekolté », « dražé », « dublé », « expozé », « filé », « foajé », « froté », « imprimé », « karé » (carré de porc, carré dans l’infanterie), « klišé », « kombiné », « komité », « komuniké », « kupé », « lamé », « matiné » (matinée au théâtre), « negližé », « piké », « plisé », « pyré », « rapé », « relé », « renomé », « resumé », « separé », « turné », « varieté », « želé », « žervé » (petit suisse, vient de Gervais).
Cela peut être également un substantif tchèque masculin animé au nominatif pluriel :
« -ov-é » : « Čechové » en concurrence avec la désinence en « -i » : « Češi » (les Tchèques),
« -an-é » : pour un substantif terminé en « -an », généralement un nom d’habitant : « Angličané » (les Anglais), « spoluobčané » (concitoyens),
« -it-é » : pour un substantif terminé en « -ita » : « Husité » (les Hussites),
« -ist-é » : pour un substantif en « -ista » : « cyklisté » (cyclistes),
« -(t)el-é » : pour un substantif en « -(t)el » : « učitelé » (instituteurs, maîtres), « manželé » (époux),
ou même un mot à flexion irrégulière tel que « lidé » (gens).
Enfin, de manière beaucoup plus réduite, « -é » peut désigner un adverbe tel que « také » (aussi) à côté d’une forme en « taky » ou que « pré » dans l’expression « mít pré » que l’on pourrait traduire par être libre ou même danser dans « Když kocour není doma, mají myši pré » (Quand le chat n’est pas là, les souris dansent).
La terminaison « é » peut apparaître également dans des mots tels que « pokaždé » (à chaque fois), « podruhé » ((pour) la seconde fois), qui sont, en fait, les formes agglutinées d’un syntagme nominal prépositionnel « po každé », « po druhé » où « každé » (chaque) et « druhé » sont des formes adjectivales féminines au locatif singulier. (Cf. la présentation de l’agglutination : https://linguotheque.huma-num.fr/le-phenomene-de-lagglutination/.
5. examen de « í »
Un mot avec un « í » final peut appartenir à trois catégories lexicales différentes : aux adjectifs (présentés ci-dessus), aux substantifs et aux verbes.
Les verbes concernés sont les verbes de 4ème classe dont la 3ème personne du singulier et éventuellement du pluriel est / sont terminée(s) par « í » (Cf. https://linguotheque.huma-num.fr/les-5-classes-de-conjugaison/). Cela correspond à trois sous-catégories de verbes terminés à l’infinitif en « -it », « -et » et « -ět », respectivement :
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- prosit (prier) 3ème pers. sing. : prosí 3ème pers. plur. : prosí
- trpět (souffrir, supporter) 3ème pers. sing. : trpí 3ème pers. plur. : trpí
- sázet (parier; planter, composer) 3ème pers. sing. : sází 3ème pers. plur. : sázejí
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Non seulement cette classe de verbes ne présente pas de marque formelle de reconnaissance, mais certains éléments de cette classe présente un schéma final en « consonne – ní » qui apporte une ambiguïté avec les adjectifs mous répondant au même schéma, par exemple « ovlivní » de « ovlivnit » (influencer) face à « jarní».
La désinence « í » peut s’appliquer également aux substantifs. En dehors de valeurs d’instrumental singulier ou de génitif pluriel de substantifs féminins consonantiques tels que « píseň » (chanson) qui donne « písní » et de génitif pluriel de neutres mous de type « moře » (mer) qui fait « moří », elle renvoie au modèle de flexion « stavení » (construction) qui concerne essentiellement la flexion des substantifs verbaux terminés en « -ní » ou en « -tí », par exemple « určit » (déterminer) qui produit le participe passé passif « určen » (déterminé), puis l’adjectif « určený » (déterminé) et le substantif « určení » (détermination : « příslovečné určení » (complément circonstanciel)) qui en découlent ou « napnout » (tendre) qui produit le participe passé passif « napjat » (tendu), puis l’adjectif « napjatý » (tendu) et le substantif « napětí » (tension : « vysoké napětí » (haute tension)).
D’autres groupes de substantifs appartiennent aussi à ce modèle. Ce sont par exemple les substantifs terminés par le suffixe « -ctv-í », par exemple « účetnictví » (comptabilité) ou le suffixe « -stv-í », par exemple « množství » (quantité).
Il existe également un petit ensemble de mots neutres en « í » qui sont des collectifs. En dehors de rares mots tels que « listí » (feuillage) non préfixé, ils sont fabriqués par préfixation et suffixation par « í » sur la base d’un autre substantif. Ainsi, « pohoří » (chaîne montagneuse) est-il formé sur le substantif féminin dur « hora » (montagne), ce qui est à rapprocher de la fabrication du terme allemand « das Gebirge », collectif neutre formé sur le mot masculin « der Berg ». De même, « sousoší » est formé sur « socha » (statue). C’est une statue représentant un groupe de personnages comme les Bourgeois de Calais. On remarquera dans les exemples ci-dessous les palatalisations dues à la présence de la désinence molle « í » derrière la consonne finale dure de la racine (« r » ou « ch »).
Signalons l’existence de mots proches des collectifs tels que « Polabí » et « Podyjí » qui dénomment des territoires le long d’un fleuve, ici « Labe » (Elbe) ou d’une rivière, la « Dyje » frontalière entre l’Autriche et la République tchèque.
Note:
1 Ce sont des situations de ce type qui amènent à distinguer, comme dans les langues sémitiques, des dérivations strictement nominales et des dérivations verbo-nominales. Ainsi, un substantif verbal ou un adjectif dérivé d’un participe, seront-ils notés dans le grammatème en tant que substantif ou adjectif d’une dérivation verbo-nominale.